De l’ABA à l’Affinity Therapy
Actualité de l’évaluation de la prise en charge des enfants autistes.
Par Jean-Claude Maleval et Michel Grollier.
Retrouvez l'article complet ici : https://cause-autisme.fr/2017/04/22/de-laba-a-laffinity-therapy/
Résumé : Comment expliquer le taux étonnamment faible d’inclusion scolaire constaté dans les 28 structures expérimentales françaises pratiquant la méthode ABA avec des enfants autistes ? Plusieurs facteurs semblent pouvoir être invoqués parmi lesquels il faut souligner : les caractéristiques de l’échantillon, l’indépendance des évaluateurs à l’égard des équipes, la privation du recours aux punitions, et la spécificité de l’indicateur.
Les études convergent pour considérer que l’efficience de l’ABA porte essentiellement sur la cognition, le langage et la diminution des comportements problèmes. Avec cependant une restriction majeure : ces résultats ne sont obtenus que sur 45 à 50% des enfants autistes. L’inclusion scolaire est un résultat plus difficile à produire : les enfants qui y parviennent ne constituent qu’une petite partie de ces derniers. Les plus récentes expertises de la méthode ABA établissent que son efficience est confirmée, mais que celle-ci reste modeste sur la cognition, et faible sur la sévérité de l’autisme. Elle reste recommandée par les autorités sanitaires faute de mieux : aucune autre méthode ne pouvant faire valoir de meilleurs résultats quand ceux-ci sont évalués par l’Evidence-Based-Medicine.
Cependant des témoignages spontanés d’Affinity Therapy se multiplient. Le concept est introduit en 2012 par Ron Suskind. L’audience médiatique de celui-ci rend aujourd’hui plus difficile de le méconnaître. Des études sur le bénéfice d’utiliser les intérêts restreints des autistes dans la pratique clinique commencent à paraître dans la littérature scientifique. Certaines établissent qu’une utilisation intrinsèque de celui-ci, c’est-à-dire comme source de la motivation aux apprentissages, comme s’emploie à le faire l’Affinity Therapy, est plus performante que l’utilisation extrinsèque de l’intérêt restreint, celle qui le limite à une récompense, pratique au cœur de la méthode ABA.
Jean-Claude Maleval est professeur émérite de psychologie clinique, psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause freudienne, EA 4050, Université Rennes 2, place du recteur Henri Le Moal. CS 24307. – 35043 Rennes Cedex. Michel Grollier est professeur de psychologie clinique, psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause freudienne. EA 4050. Université Rennes 2. Place du recteur Henri Le Moal. CS 24307. – 35043 Rennes Cedex.
Il semble légitime de supposer que le taux d’inclusion scolaire constitue un indicateur plus fiable que d’autres pour apprécier l’effet d’une intervention éducative ou thérapeutique sur l’enfant autiste, parce qu’il s’agit d’un comportement complexe, faisant appel à des compétences diverses. C’est l’indicateur retenu d’emblée par Lovaas pour établir la pertinence de la méthode ABA.[1]Sur un échantillon de 19 enfants autistes, après en moyenne 2,5 ans de traitement, 9 furent scolarisés en filière normale, soit 47%. Par ailleurs, des résultats assez divers faisant état de 23% à 100% de scolarisation sont rapportés par des études ultérieures citées par la HAS[2].
Dès lors, beaucoup d’espoirs étaient permis concernant une application intensive de la méthode ABA en France dans 28 structures expérimentales générées par une circulaire de la Direction générale de l’Action sociale promulguée en 2010. Ces institutions, bien dotées en personnel, disposant de moyens financiers généreux, animées par des équipes soudées, soutenues par les associations de parents d’autistes, furent placées dans d’excellentes conditions d’expérimentation de la méthode : le taux d’encadrement y était de 1,03 par enfant pour un accompagnement hebdomadaire moyen de 26 heures. 578 enfants autistes y ont été pris en charge. Or après cinq ans de fonctionnement de ces institutions expérimentales des observateurs indépendants constatent que le taux de scolarisation s’avère étonnamment faible. Seuls 19 enfants « sont sortis vers le milieu ordinaire », mais encore faut-il parmi eux retrancher ceux qui sont allés en CLIS et ceux qui ont continué à bénéficier d’une AVS – dont le nombre n’est pas précisé[3]. Sur un échantillon beaucoup plus représentatif que celui des études précédemment citées le taux de scolarisation en milieu ordinaire avoisine en France les 3% ! Rares sont les études qui dégagent un taux si bas. Il existe bien une recherche anglaise, publiée en 2002, portant sur la méthode ABA « gérée par les parents »[4], qui fait état, selon la lecture attentive de Shea,[5] d’un taux d’à peine 6%, soit 3 enfants sur 48. Notons que ces chiffres médiocres ne sont pas donnés spontanément : ils doivent être dégagés des données délivrées.
Que l’appréciation de l’efficacité de la méthode ABA, à partir d’un comportement aisément observable et quantifiable, tel que l’inclusion scolaire en milieu ordinaire, puisse passer de 3% à 100%, en incluant des résultats intermédiaires très diversifiés, laisse perplexe quant aux conclusions à tirer de ces recherches, et incite à supposer la présence de biais méthodologiques majeurs.
Comment expliquer une telle divergence entre la pauvreté du taux d’inclusion scolaire obtenu par les 28 structures expérimentales françaises et certaines études beaucoup plus optimistes publiées dans la littérature scientifique sachant en outre que ces dernières portent sur des durées d’expérimentation plus courtes[6] ?
Plusieurs facteurs semblent pouvoir être invoqués parmi lesquels il faut souligner : les caractéristiques de l’échantillon, l’indépendance des évaluateurs à l’égard des équipes, la privation du recours aux punitions, et l’inclusion scolaire comme indicateur.
La suppression des techniques aversives
Dans les débuts de l’exercice de la méthode ABA les punitions sont incluses dans les moyens de renforcement et ses mérites sont justifiés par les études. En 1991 des chercheurs behavioristes s’interrogent : « Est-ce que la punition nuit ? »[7] « Ils comparent, rapporte Dawson, l’impact des pratiques aversives sur le moral et la satisfaction professionnelle de plus d’une centaine d’intervenants divisés en deux groupes, ceux qui n’ont pu utiliser que des techniques aversives modérées, et ceux qui ont pu avoir recourt à des techniques aversives sévères à l’encontre d’autistes en leur dépendance. Parmi ces dernières (et nous supposons qu’il ne s’agit pas d’une liste limitative) : « claque, pincement, choc électrique, odeur nocive, liquide toxique, et cheveux tirés ». L’étude, commente Dawson, ne définissait aucune limite précise à ce que les personnes impliquées dans celle-ci pouvaient tenir comme « modéré » ou « sévère » concernant les techniques aversives. De toute évidence aucun autiste n’avait été consulté à ce sujet. En outre personne ne releva que des autistes avaient été blessés et tués en raison des conditions éprouvantes auxquelles ils avaient été soumis, de celles qui ne peuvent que conduire à plaider en faveur d’une classification de type « sévère ». Les auteurs concluent : « permettre aux membres du personnel l’usage d’une grande variété de types d’interventions y compris de techniques aversives prononcées peut diminuer leur stress professionnel et rehausser le sentiment qu’ils ont de leur efficacité »[8]. Les éducateurs consultés considèrent que des techniques aversives fortes appliquées aux autistes permettent d’obtenir les meilleurs résultats. C’est aussi l’opinion de Dawson qui fait valoir que l’intervention de tribunaux américains prononçant l’illégalité des techniques aversives constitue une des raisons majeures de la non-reproduction des 47% de résultats positifs de l’étude de Lovaas. Ils furent obtenus en recourant à des décharges électriques, des fessées, des vaporisations d’eau froide et des expositions à des odeurs désagréables. Dans une discussion avec Dawson, en 2003, Lovaas avait concédé qu’obtenir les mêmes résultats sans recours aux techniques aversives serait beaucoup plus difficile.
Les recommandations de la HAS sont sans ambiguïté : « les procédés physiques d’aversion ne doivent pas être utilisés »[9]. Il est légitime de supposer que les 28 structures expérimentales fondées à partir de ces recommandations s’efforcent de les appliquer. En revanche beaucoup d’études dont les résultats sont pris en compte par la HAS incluent encore le recours aux techniques aversives. Qui plus est, l’ABA contemporain, le plus souvent évalué, qui annonce maintenant se priver des punitions, suscite parfois sur ses marges un retour de celles-ci. Mme Vinca Rivière, fondatrice du Centre expérimental Camus, de Villeneuve-d’Ascq, qu’elle présente comme un lieu pilote de la méthode ABA, n’hésite pas à énoncer en 2012 ce que beaucoup de behavioristes persistent à penser. « En analyse du comportement, déclare-t-elle à une journaliste de Mediapart, il y a des procédures de punition par choc électrique. Tout le monde trouve ça scandaleux, mais c’est accepté par le gouvernement hollandais sous certaines procédures pour des troubles sévères et en dernier recours. Ce qu’on appelle « choc électrique », on le présente en formation en faisant sucer une pile de 9 volts : ça picote la langue. Mais ça suffit à changer un comportement, je l’ai vu en Hollande, et l’efficacité en est démontrée depuis les années 50. […]. Cette punition-là, elle est efficace si le comportement diminue rapidement, sinon, ce n’est pas une bonne punition. Donc si ça ne diminue pas, on arrête, on va pas mettre du 80 volts ! » [10]. Une plainte introduite par un parent d’enfant autiste traité au Centre Camus vient encore à l’appui de la persistance du recours à des techniques aversives en cette institution[11]. La justice l’a confirmé en rejetant le recours en diffamation de Mme Rivière.[12] Au reste Leaf, McEachin et Taubman dans « L’approche comportementale de l’autisme », publié en 2008, notent que l’abandon des méthodes punitives s’est produit sous l’influence de considérations éthiques portées par la pression sociale et non pour des raisons scientifiques. Les comportementalistes se sont rangés au « politiquement correct », mais il reste discernable un certain regret de leur part d’avoir dû se priver de méthodes si efficaces. Ils avancent cependant de pertinentes raisons pour le faire. La punition, affirment-ils, peut être une procédure hautement maltraitante et elle nécessite donc un contrôle soigneux[13]. « Nous avons été témoins, ajoutent-ils, de circonstances au cours desquelles des « professionnels » ont abusé de la punition jusqu’à un point que l’on considère être de la maltraitance »[14]. Qui plus est, ils notent que c’est une procédure trop facile à utiliser, à laquelle il est fait trop souvent recourt « de manière émotionnelle », de sorte que son « utilisation incorrecte » risque d’affecter négativement la réputation de l’ABA. La mention d’une « utilisation incorrecte » de la punition dans un travail qui explique les raisons de son arrêt est importante : elle révèle que persiste dans la logique de la méthode la notion d’une punition correcte. Il est d’ailleurs affirmé qu’elle fut utilisée d’une manière « correcte » en 1973 grâce à une bonne formation du personnel et avec la surveillance de plusieurs superviseurs – dont le Dr Lovaas. Bref le rejet des techniques aversives, au nom de considérations éthiques imposées, et non en référence à l’efficacité, n’est assumé par les comportementalistes qu’avec une certaine réticence. Ils concèdent eux-mêmes, sans l’approuver, qu’il existe encore en 2008 des professionnels qui utilisent des méthodes aversives. La HAS note que certains des résultats positifs qu’elle prend en compte concernant les traitements comportementaux sont obtenus en ne récusant pas le recours à des procédures de punition[15].
Que l’ABA contemporain soit une méthode qui doit se priver des pratiques aversives est cependant une notion qui tend à se répandre. De surcroît tout porte à croire que des structures expérimentales fondées par des associations ne cessant de se revendiquer de la scientificité des recommandations de la HAS ont induit dans les équipes un strict respect des recommandations éthiques de celle-ci. Une part de la pauvreté des résultats de l’expérimentation française trouve probablement son origine dans l’interdit du recours aux techniques aversives.
Les caractéristiques de l’échantillon et l’indépendance des évaluateurs
Il est un résultat constamment reproduit méta-analyse après méta-analyse : le fait qu’environ 50% des enfants autistes ne soient quasiment pas améliorés par la méthode ABA[16]. Pourtant il est des études qui font état d’un taux d’inclusion scolaire supérieur à ce pourcentage, allant parfois même jusqu’à 100%. Comment ne pas supposer que le choix et l’importance de l’échantillon interviennent de manière décisive dans les résultats obtenus ? La plupart des études publiées dans les revues scientifiques à comité de lecture sont effectuées par des chercheurs à la tâche de confirmer leurs hypothèses et leurs modèles théoriques. Si l’expérience les infirme, il est rare que l’article scientifique sorte du tiroir. Dès lors un échantillon approprié peut contribuer à atteindre les buts attendus. Cependant une sélection conforme aux attentes n’est plus guère réalisable quand l’échantillon comporte plusieurs centaines d’enfants autistes.
Il est un indice, noté par la HAS, du regard peu critique porté par les chercheurs qui expérimentent avec la méthode ABA : « Les études rapportées, écrivent les experts, étaient tenues de signaler les événements ou effets indésirables. Aucune des études n’en a rapporté. Néanmoins aucune intervention ne peut être à l’abri d’un événement indésirable »[17]. À notre connaissance, il n’existe pas de recherche sur les effets indésirables de la méthode ABA, bien que des parents et une enquête sanitaire en aient fait état[18]. « Dans le cas d’un médicament, rappelle Mottron, le recensement d’effets indésirables est une étape obligatoire. Dans le cas des interventions comportementales précoces, il ne paraît pas exister la moindre étude les suspectant, ni à court, ni à long terme. Il n’existe en particulier aucune étude sur l’effet à l’âge adulte d’avoir privé l’enfant des comportements et intérêts dits « répétitifs », ce qui représente un des objectifs de l’ABA. Dans aucun autre domaine que l’autisme, on n’accepterait d’imposer une intervention sur une large échelle si des effets négatifs possibles n’ont pas été recherchés »[19]. Il en est un pourtant assez discernable : combien d’autistes de haut niveau ont-ils fait état d’une sortie de la solitude autistique grâce à la méthode ABA ? L’absence de témoignage de cet ordre justifie que la plupart d’entre eux restent réservés sur cette dernière, voire très critiques[20].
La majorité des études examinées par les experts de la HAS portent sur des échantillons de quelques dizaines d’enfants suivis pendant des durées qui vont de quelques mois à deux ans. Il est tout à fait exceptionnel d’avoir la possibilité de se pencher sur le devenir de 578 enfants autistes traités en moyenne pendant deux ans et demi. Rappelons que l’étude la plus citée, celle de Lovaas, n’inclut que 19 enfants.
La sélection opérée par les structures expérimentales françaises n’était nullement orientée par la recherche de résultats statistiques. Elle s’est faite sur des critères d’un tout autre ordre. Le public accueilli, constate le rapport, « très restreint et sélectionné », et composé de « connaisseurs ». Entendons d’enfants dont les parents sont des « connaisseurs » en matière d’autisme. « En effet, est-il précisé, à l’ouverture des structures, le plus souvent, une bonne partie des places a été occupée, spontanément, par les enfants des membres de l’association fondatrice qui sont majoritairement encore présents dans les structures (très peu de sorties). Les places créées grâce à l’expérimentation ont ainsi été très rapidement occupées par des familles qui étaient déjà « expertes » de l’autisme et de l’ABA (membres d’associations, impliquées dans un accompagnement ABA de type libéral…) »[21]. L’échantillon comporte donc un biais plutôt favorable à l’ABA, l’attitude positive des parents à l’égard de cette méthode, mais il n’est pas sélectionné afin d’en établir la scientificité. Par son nombre et son recrutement il apparaît très représentatif des autistes dont les parents sont en attente d’une prise en charge institutionnelle de leur enfant. Nul doute qu’il ne penche du côté des formes les plus sévères du spectre autistique, ce qui peut rendre partiellement compte de la pauvreté des résultats ; cependant les enfants pris en charge en institution sont aussi ceux qui sont le plus exposés aux méthodes comportementales recommandées.
Les experts des cabinets Cékoïa conseil et Planète publique ne sont intervenus en rien dans le choix des enfants intégrés dans les structures expérimentales. L’échantillon qu’ils étudient n’avait pas été constitué par eux. Il n’en est pas toujours ainsi dans les recherches scientifiques prises en compte par la HAS. L’indépendance des évaluateurs de l’expérience française conforte la solidité du résultat obtenu.
L’inclusion scolaire comme indicateur
Il existe aujourd’hui un quasi-consensus dans la littérature scientifique internationale pour considérer qu’environ 50% des enfants traités par la méthode ABA obtiennent des résultats probants, cependant ceux-ci sont très éloignés du retour à un « développement normal » annoncé par Lovaas.
La démonstration de l’efficacité de la méthode ABA ne repose pas sur quelques rares études chiffrant l’inclusion scolaire, dont la robustesse méthodologique est souvent contestable, mais sur d’autres études, dont les résultats ont été maintes fois reproduits. Ils objectivent essentiellement des améliorations du QI, des compétences linguistiques, et des capacités d’adaptation, ainsi qu’une diminution des comportements problèmes. De nombreuses recherches concordantes ne permettent guère d’en douter.
C’était déjà le constat fait par la HAS en 2012 dans ses « conclusions de l’évaluation de l’efficacité et la sécurité des interventions comportementales et développementales globales. » : « Les interventions systématiques augmentent le QI, les compétences de communication et le langage significativement plus que les interventions prises comme contrôle […] Mais tous les enfants ne sont pas sensibles aux interventions systématiques étudiées. En effet à travers les études, on observe que le pourcentage d’enfants passant dans une zone de moyenne typique pour le QI est de l’ordre de 45 à 50% maximum. Les compétences de communication sont très souvent améliorées, mais le langage lui-même, lorsqu’il est examiné spécifiquement, ne se modifie significativement le plus souvent qu’au cours d’une seconde année d’intervention ou bien avec moins de succès que le QI. L’amélioration des comportements adaptatifs est fréquente mais moins spectaculaire que celle du QI. L’autonomie de la vie quotidienne est rarement plus améliorée dans le groupe expérimental que dans le groupe contrôle. La sévérité de l’autisme est également peu souvent modifiée »[22]
Deux ans plus tard, en 2014, est publié à Rockville par l’AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality), un rapport de plus de 500 pages, quasi-exhaustif sur la littérature scientifique de langue anglaise concernant les approches éducatives de l’autisme. Les conclusions de la HAS s’y trouvent confirmées concernant à la fois l’efficience de l’ABA et ses limites. Il est constaté une nouvelle fois que les résultats les plus robustes mettent en évidence un gain concernant les capacités cognitives et les compétences linguistiques. Cependant les améliorations s’avèrent moins marquées concernant la sévérité du noyau des symptômes autistiques, les compétences adaptatives et le fonctionnement social[23]. « Notre confiance (fondée sur le niveau de la preuve), écrivent les experts, dans l’efficience des approches précoces et intensives fondées sur l’ABA concernant la cognition et le langage reste modérée, du fait que des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin d’identifier quel groupe d’enfants tire le meilleur bénéfice des approches spécifiques de forte intensité. Le niveau de preuve quant à l’aptitude de ces interventions de forte intensité à produire un effet sur les compétences comportementales d’adaptation, sur les compétences sociales et sur la sévérité du noyau des symptômes autistiques est faible. [24]Qui plus est, en ce qui concerne l’acquisition des compétences cognitives et linguistiques leur impact sur le long terme reste incertain : beaucoup d’études n’ayant pas suivi les enfants au-delà de la pré-scolarité tardive ou des toutes premières années de scolarité[25].
Bien qu’ils recommandent la méthode ABA les experts américains restent circonspects. « En dépit des progrès, écrivent-ils, la littérature existante fait encore état de difficultés méthodologiques significatives qui persistent de multiples manières à limiter la pertinence des conclusions. La preuve de l’efficience des interventions intensives fondées sur l’ABA quant à la cognition, le langage, les compétences adaptatives et les symptômes de l’autisme révèle aussi des limitations importantes concernant les modalités usuelles de traitement. Premièrement, même les enfants qui mettent en évidence des améliorations cliniquement significatives dans ces domaines persistent à faire paraître des déficits importants en ceux-ci et en d’autres. Deuxièmement, ce ne sont pas tous les enfants recevant une intervention intensive fondée sur l’ABA qui montrèrent de robustes améliorations en ces domaines. Ainsi, bien que cette revue actualisée établisse clairement que les interventions précoces intensives fondées sur l’ABA améliorent les déficits précoces liés à l’autisme, décrire les effets ultimes de ces améliorations en termes de devenir du fonctionnement et de résultats adaptatifs au niveau de l’individu reste un défi. »[26].
Les résultats les plus probants et les plus aisés à objectiver portent sur l’amélioration souvent significative du QI. Cependant le préjugé répandu de l’association de l’autisme à un retard mental conduit à surestimer ce facteur. Bien que le chiffre soit difficile à vérifier, en raison de la difficile évaluation du nombre d’autistes de haut niveau non diagnostiqués, Dawson estime à 50% de l’ensemble des autistes[27] ceux qui ne présentent pas de retard mental[28]. De surcroît la corrélation du QI avec le fonctionnement autistique est inexistante puisqu’il est des autistes dont le QI est inférieur à 50 et d’autres qui dépassent les 150. L’amélioration du QI n’est en rien corrélée avec celle de la sévérité de l’autisme.
La capacité d’abstraction des autistes d’Asperger incitait ce dernier à faire de sérieuses réserves sur la validité des tests d’intelligence auxquels ils étaient soumis. « Chez plusieurs types d’enfants, écrivait-il, et chez les enfants autistiques, les tests de Binet donnent un résultat faux : les tests de Binet, qui exigent des résultats dans la pensée logique et abstraite chez les enfants plus grands sont parfaits pour ces enfants-là. Ils ont des résultats de QI très supérieurs. L’échec de ces enfants n’apparaît qu’au moment où on leur demande d’apprendre et de répéter et lorsqu’on est témoin des perturbations au cours de l’apprentissage ou pendant les tests »[29]. Ainsi Asperger constatait déjà que le QI était un mauvais indicateur de l’autisme et qu’une évaluation positive des capacités cognitives était compatible avec la persistance en celles-ci de perturbations difficiles à chiffrer.
Le QI constitue un chiffre qui n’évalue pas les capacités virtuelles de l’enfant : il ne prédit pas son aptitude à apprendre et à développer d’autres outils de pensée. La plupart des études mettent en évidence que les progrès de la cognition chez l’autiste sont en décalage avec ceux des habiletés sociales. Dès lors il est cohérent avec l’ensemble des recherches que le taux d’inclusion scolaire obtenu avec la méthode ABA soit nettement inférieur à celui des améliorations de la cognition.
Certes, le taux d’inclusion constitue un indicateur qui est soumis à quelques paramètres externes à l’évaluation des méthodes d’apprentissage : il dépend de la politique scolaire régionale, des directeurs et enseignants, de la culture du pays. Cependant rien n’indique que ces facteurs conduisent à minimiser le chiffre obtenu en France, puisqu’il est recueilli, selon les données de la HAS, dans un contexte de forte augmentation de l’accueil des enfants handicapés en milieu scolaire (32% de plus en 2010 qu’en 2005)[30].
Bref, malgré les améliorations sensibles du QI obtenues, les experts américains constatent en 2014 que la preuve de l’impact des interventions précoces intensives sur le noyau des symptômes de l’autisme est à la fois limitée et mitigée. La sévérité des symptômes des enfants décroît souvent pendant le traitement, écrivent-ils, mais il est ordinaire que ces améliorations ne différent pas de celle des enfants des groupes de contrôle[31].
Les constats opérés dans les 28 structures expérimentales ne semblent pas différer de ceux réitérés dans la littérature scientifique internationale. Les parents et les professionnels y ont certes observé « une évolution des enfants et des jeunes sur des aspects qui n’étaient pas acquis auparavant (propreté, communication, diminution des comportements-problèmes…) »[32]. Lors de l’évaluation, un questionnaire a été envoyé aux parents. « Parmi les 324 familles ayant répondu, dans 24 structures, plus de 80% des familles déclarent avoir constaté une évolution positive de leur enfant suite à l’accompagnement par la structure. Dans les 4 autres structures, le nombre de familles ayant constaté des progrès de leur enfant est variable (entre 43% et 79% des familles) ». Cependant, ajoutent les évaluateurs, ce résultat positif doit être nuancé. « Les structures expérimentales présentent en effet une offre qui concerne un nombre limité de familles. L’obtention d’une place pour leur enfant représente, dès l’admission, un critère de satisfaction pour les parents »[33]. Bref, ces indications s’avèrent tout à fait compatibles avec les constats habituels : amélioration de la cognition et du langage et diminution des comportements-problèmes d’une partie des enfants et des jeunes, ce dont la satisfaction des parents se fait écho ; cependant les effets sont moindres sur les compétences adaptatives, la sévérité de l’autisme et le fonctionnement social, ce sur quoi le 3% d’inclusion scolaire donne une indication.
Ce chiffre dégagé par des évaluateurs indépendants, obtenu par une application de l’ABA épurée des punitions, à partir d’un solide échantillon, apparaît certes faible, mais il devient moins surprenant quand on souligne que, selon les conclusions de la littérature scientifique, ce n’est pas sur l’inclusion scolaire que la méthode ABA est performante, mais sur des améliorations de la cognition et du langage. Or, pour une proportion importante d’autistes, toutes les données convergent pour indiquer que celles-ci restent compatibles avec une inaptitude à un fonctionnement social permettant d’intégrer un groupe d’enfants non autistes.
En utilisant la méthodologie discutable de l’Evidence-Based-Medicine, les résultats obtenus par l’ABA sont certes scientifiquement démontrés, mais ils restent modestes pour les enfants améliorés, et mettent en évidence que la moitié des autistes n’en profitent pas. Rien à voir avec les enthousiasmes de parents médiatiques qui n’hésitent pas à affirmer : « dans 70% des cas […] un enfant pris en charge précocement et correctement par le traitement ABA ne coûtera plus rien à la société au bout de quatre ans de traitement maximum. Ces chiffres sont validés internationalement »[34]. Manque évidemment la référence aux études qui viendraient appuyer cette assertion. Même Lovaas était plus modeste. En fait le taux effectif d’inclusion scolaire des enfants autistes obtenu après deux à trois ans de pratique de l’ABA est probablement plus proche des 3% que des 70%.
La conclusion majeure tirée par les évaluateurs des 28 structures expérimentales s’avère circonspecte. « Malgré les progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, écrivent-ils, le nombre de sorties est resté très limité sur la période, alors même que ce modèle d’intervention ne peut être tenable financièrement que si l’accompagnement intensif pour un même enfant est limité dans le temps (logique de parcours) »[35]. Ils observent que les résultats interrogent le rapport coût-efficacité des approches mis en œuvre. « Bénéficiant de moyens (en termes de taux d’encadrement, de nombre d’heures d’accompagnement et d’investissement des parents notamment) bien supérieurs aux autres, sans pour autant obtenir des résultats significativement supérieurs en termes de sorties et notamment d’intégration dans le milieu ordinaire »[36]. D’autres études convergent pour montrer qu’un travail sur des comportements de socialisation isolés ne modifie guère la socialisation elle-même[37].
Il n’en reste pas moins que les autorités sanitaires françaises, sous la pression de certaines associations de parents, poursuivent non seulement dans la voie du tout ABA, mais tendent à interdire les autres approches, notamment sous la menace de sanctions financières pour les institutions.
La pauvreté des résultats de l’expérimentation institutionnelle d’ABA en France devient moins surprenante quand on constate aujourd’hui, selon Mottron, que les effets sur la socialisation et la communication des enfants autistes, produits par les interventions comportementales intensives précoces, d’après les études les plus solides sur le plan méthodologique, « aboutissent à des résultats négatifs ou peu signifiants […] si l’on prend comme variable d’effet l’adaptation sociale et l’autonomie telles qu’elles sont actuellement mesurées »[38].
Il est de plus en plus fréquemment fait état dans la littérature scientifique internationale de la médiocrité des résultats des interventions comportementales intensives précoces, notamment des trois recommandées en 2012 par la HAS (ABA, TEACCH, Denver). Nul doute que le discours est en train de changer. Mottron rapporte d’ailleurs qu’il existe une loi majeure dans l’histoire des sciences, « l’effet déclin », selon laquelle « la taille des effets rapportés par les études scientifiques décline avec le temps. Cette baisse est attribuée au biais de publication, qui privilégie la publication initiale de résultats positifs, et à l’augmentation, au cours du temps, des critères de validité. Ceci est particulièrement vrai, ajoute-t-il, des effets rapportés de l’intervention en autisme »[39]. Faut-il rappeler que les fameux 47% de l’étude initiale de Lovaas n’ont jamais pu être reproduits dans des conditions rigoureuses ?
L’équivalent anglais de la HAS, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) a tiré dès 2013 les conséquences d’études de plus en plus concordantes en cessant de recommander les interventions comportementales intensives précoces pour la prise en charge des autistes. Il a initié une orientation qui est en train de gagner du terrain. Le NICE prône maintenant une approche pluridisciplinaire, coordonnée par un « intervenant pivot », cherchant à maintenir le plus possible l’enfant dans sa famille et dans l’institution scolaire. Il considère encore envisageable de recourir à une thérapie cognitivo-comportementale, parmi d’autres mesures, mais intégrant « un support au maintien de l’attention en offrant des poses régulières », c’est-à-dire en rompant avec une approche intensive, et « si possible » en intégrant à la thérapie les intérêts particuliers[40].
L’émergence de l’Affinity therapy
Les spécialistes considèrent que la validation scientifique des méthodes autres que l’ABA est, soit plus faible encore (TEACCH, Denver), soit inexistante. Dès lors ceux qui ne méconnaissent pas les résultats modestes de l’ABA persistent à la recommander – faute de mieux. Ils placent leurs espoirs dans une meilleure compréhension à venir des raisons de ses échecs sur la moitié des enfants. De nombreuses études de variables comportementales n’y sont pas jusqu’alors parvenues. Il est peu probable que des avancées soient faites sur cette question sans recueillir le vécu des autistes. Or ceux qui s’expriment sur les traitements qui leur furent proposés sont en général peu favorables à l’ABA. Dawson souligne qu’elle n’a pas eu besoin de recourir à cette méthode pour devenir chercheuse à l’Université. Grandin ou Barnett le confirment. Les autistes de haut niveau considèrent que leurs protections contre l’angoisse sont heurtées de front par les méthodes comportementales, d’où probablement la réaction négative de nombre d’enfants autistes. Dans leur majorité ils prônent une autre approche, fondée sur une stimulation des apprentissages en prenant appui sur un élément fréquemment rencontré dans le syndrome autistique, à savoir ce que l’on nomme les îlots de compétence, les sujets de prédilection, les intérêts spécifiques ou plus simplement les passions.
« Je pense, écrit Schovanec, que les intérêts spécifiques ne sont pas un ennemi, loin de là, et qu’une interdiction, une opposition frontale n’est pas une bonne solution […] Ce ne sont pas que des lubies complètement arbitraires. Ils contribuent à l’élaboration de la personnalité. Ils peuvent déboucher sur un métier. » [41]. La passion de Barnett pour le déplacement de la lumière dans l’espace en a fait un chercheur universitaire en physique[42], celle de Grandin pour sa trappe à serrer l’a conduite à devenir une spécialiste des enclos à bétail, etc. À l’instar de Schovanec, cette dernière constate : « les adultes autistes de haut niveau qui sont capables de vivre de façon autonome et de garder un emploi stable font souvent un travail dans le même domaine que les obsessions de leur enfance. Un autiste obsédé dans son enfance par les chiffres fait aujourd’hui de la gestion fiscale […] Les enfants autistes qui s’en sont sortis l’ont fait en prenant les obsessions de leur enfance et en les dirigeant vers des buts constructifs. Les meilleures réussites se voient chez ceux qui ont eu un ami dévoué qui les a aidés à diriger leurs fixations » »[43] Dès les premières observations de l’autisme, ce phénomène avait retenu l’attention d’Asperger : « c’est chez les autistes, écrivait-il en 1944, que nous avons constaté, beaucoup plus que chez les gens normaux, une prédestination à un métier, cela dès leur tendre jeunesse : ce métier émerge de leur constitution comme un destin »[44]. Il a le sentiment qu’ils sont « préprogrammés par leurs dispositions dès l’enfance »[45]. Certains autistes suivis par lui sont devenus spécialistes en héraldique, professeur d’astronomie, techniciens, chimistes, fonctionnaires et musiciens. Il note que leur manière d’opérer une sélection restrictive dans leurs intérêts constitue un avantage par rapport à ceux qui possèdent plus de possibilités mais ne font pas le choix de se spécialiser.
Les observations faites par Asperger ont été depuis lors amplement confirmées par de nombreux témoignages montrant qu’un enfant autiste peut apprendre en prenant appui sur ses passions successives sans qu’il soit nécessaire d’en passer par un séquençage de ses comportements. Cette méthode fondée sur les intérêts spécifiques, utilisée spontanément par beaucoup de parents, n’avait pas de nom et elle était difficile à tester. Quelle serait la valeur d’un groupe de contrôle composé d’enfants autistes dépourvus de passions ? En 2012 la HAS ne la connaît pas. Un spécialiste de l’approche comportementale y fait cependant une rapide allusion à partir de ses propres recherches[46]. À l’occasion d’études sur le développement de la capacité à jouer chez l’enfant autiste, il constate que « les résultats les plus probants semblent être associés au cas où l’intervention s’appuie sur les capacités initiales de l’enfant et où le renforcement provient de l’activité elle-même plutôt que de renforcements extérieurs »[47].
Ce constat a été maintes fois réitéré par les parents qui ont fait le choix de s’appuyer sur les passions de l’enfant autiste. Il faut cependant attendre 2014 pour que la méthode trouve un nom à la faveur du succès médiatique d’un ouvrage qui relate la sortie du repliement autistique opérée par Owen Suskind grâce au médium des films de Disney. Il existait déjà d’autres témoignages du même ordre : ceux de Tammet, Grandin, Barnett, Romp, etc. ; mais ils n’ont pas donné naissance au concept d’Affinity Therapy inventé par Ron Suskind et Dan Griffin. Or Suskind est une célébrité : journaliste au New-York Times, il a écrit plusieurs ouvrages, et obtenu le prix Pulitzer en 1995. Son témoignage sur l’étonnante évolution de son fils, relaté dans « Life, animated »[48], constitue un tournant dans l’approche de l’autisme. En 2015, un colloque organisé à l’Université de Rennes 2 en sa présence, et avec celle de sa famille, a tenté de donner un certain écho en France à sa découverte[49]. Suskind a réuni une équipe qui a maintenant mis au point un ingénieux logiciel, nommé Sidekicks, qui facilite la mise en œuvre de l’Affinity Therapy, et il s’emploie activement à la faire connaître. Il a également ouvert un site Internet où sont recueillis des témoignages d’émergence du repli autistique analogues à ceux de son fils[50] – et ils sont nombreux. Depuis 2016 un film intitulé « Life, animated » est diffusé.
Malgré l’opposition du courant comportementaliste dominant, il devient difficile d’ignorer le retour d’une approche psychodynamique dans le traitement de l’autisme par l’intermédiaire de l’Affinity Therapy, de sorte que des évaluations de celle-ci commencent à apparaître dans la littérature scientifique.
En 2012 est publié dans Autism research and Treatment une méta-analyse de 24 études incorporant les intérêts de 78 enfants autistes âgés de 2 à 6 ans dans des pratiques d’interventions précoces. Les auteurs opèrent deux sortes de comparaisons : groupes d’interventions types versus groupes d’interventions basées sur les intérêts et groupes s’appuyant sur les intérêts des enfants versus groupes les prenant peu en compte ou pas du tout. « Les résultats établirent que les différentes manières d’incorporer les intérêts des enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme dans des interventions précoces accrurent le comportement social de l’enfant et firent régresser les excès de son comportement. Les résultats montrèrent aussi bien que les pratiques d’intervention précoce fondées sur l’intérêt ciblant les caractéristiques de la communication et du noyau interpersonnel des troubles du spectre de l’autisme furent plus efficientes que les interventions ciblant le comportement répétitif ou restrictif de l’enfant. Il fut aussi constaté que les interventions fondées sur l’intérêt modifiaient ou amélioraient le comportement de l’enfant dans plusieurs champs et domaines. Les données, considérées en leur ensemble, indiquent que l’intervention précoce fondée sur l’intérêt constitue une pratique efficiente pour obtenir des gains incluant la socialisation, la communication et les compétences, ainsi que pour faire régresser les comportements indésirables. »[51] Les auteurs ajoutent que ces résultats ont été retrouvés à la fois avec des enfants présentant d’autres types de handicap et avec des enfants sans retard mental. Ils concluent que les interventions précoces fondées sur l’intérêt constituent une pratique de choix pour améliorer le comportement social de l’enfant et pour faire décroître à la fois ses excès comportementaux et ses comportements indésirables. En considération de la faiblesse de leur échantillon, ils appellent à d’autres études pour vérifier leurs résultats.
Trois ans plus tard, ils sont confirmés par un travail publié dans la Review of Educational Research intitulé « Teaching children with restricted interests ». Il prend pour point de départ le dilemme auquel sont confrontés tant d’éducateurs travaillant avec les autistes : convient-il de se servir des intérêts restreints pour les apprentissages ou faut-il les exclure radicalement ? La recherche porte sur 20 articles scientifiques incluant 91 enfants autistes. Il introduit une distinction majeure entre deux manières de prendre en compte les intérêts restreints dans les apprentissages. L’approche intrinsèque (fondée sur les antécédents) appréhende l’intérêt spécifique de l’enfant comme source de motivation pour apprendre ; tandis que l’approche extrinsèque (fondée sur les conséquences) utilise l’intérêt spécifique comme récompense après la réussite d’une tâche. La première produit du plaisir à s’investir dans un projet et motive à s’y engager. Dans la seconde l’activité reste séparée de l’intention d’y prendre part de sorte qu’elle peut rester déplaisante. La distinction est importante parce qu’elle recoupe très précisément la différence d’approche du sujet de prédilection de l’autiste opérée par la méthode ABA et par l’Affinity Therapy. Quand la première cesse de le combattre, elle en fait usage comme renforçateur : il intervient comme récompense suite à la réussite d’une tâche. C’est ce que les auteurs nomment l’approche extrinsèque.
En revanche dans l’Affinity Therapy c’est à partir du sujet de prédilection de l’enfant que s’organisent les apprentissages, sans décomposition en séquences comportementales. Il s’agit de l’approche intrinsèque. Les auteurs constatent que les deux approches permettent d’obtenir des gains dans les apprentissages, la socialisation et le comportement des enfants. Il leur apparaît cependant qu’ils sont meilleurs avec l’approche intrinsèque. Les intérêts restreints incorporés dans les tâches encouragent un engagement dans les apprentissages généré par un intérêt personnel, intrinsèque, ou à défaut ils permettent de consentir à aborder l’objet. De même que pour les enfants dont le développement est typique, les autistes qui sont intrinsèquement motivés sont plus portés à prendre du plaisir à des tâches complexes et à vouloir les maîtriser. À l’opposé, les méthodes extrinsèques fondées sur la récompense peuvent seulement générer des apprentissages superficiels et incertains, pour l’unique raison que l’engagement ne repose pas sur le plaisir de la tâche elle-même, mais sur une récompense extrinsèque qui vient comme une conséquence. Qui plus est, les succès peuvent en pâtir et leur qualité s’en ressentir ; les enfants extrinsèquement motivés évitent souvent l’épreuve même quand une récompense est offerte. Toute méthode d’apprentissage qui considère nécessaire d’utiliser des renforçateurs fait l’hypothèse que la tâche proposée ne constitue pas une motivation suffisante. « Dans sa logique même, souligne Mottron, le renforcement est extrinsèque : ce n’est pas lui qu’on apprend, c’est la tâche qui l’accompagne. Si l’usage d’un renforcement vise à créer un lien artificiel ou nouveau avec une émotion existante, l’intérêt pour un enfant autiste de réaliser l’action à apprendre ne sera jamais lié à sa nature même »[52].
Les études publiées, concluent les auteurs de « Teaching children with restricted interests », indiquent que les enfants autistes montrent des bénéfices substantiels dans la socialisation, l’apprentissage et le comportement quand leurs intérêts restreints sont inclus dans la pratique scolaire. Ils suggèrent donc que les intérêts restreints des enfants autistes soient incorporés dans le programme préférentiellement préconisé. Ils considèrent qu’il est approprié de le faire afin d’encourager à prendre du plaisir en étudiant et en se socialisant. Les méthodes fondées sur une récompense intrinsèque, incluant l’intégration de l’intérêt restreint dans les matériaux ou les tâches scolaires sont estimées préférables aux méthodes extrinsèques fondées sur la conséquence, bien que les unes et les autres puissent obtenir des succès. Il est important, soulignent les auteurs, de prendre des précautions quand les intérêts restreints sont inclus dans la pratique scolaire car leur inclusion peut ne pas convenir à tous les individus, tandis que certaines réticences peuvent émaner de perceptions parentales ou culturelles. Néanmoins les gains rapportés en apprentissage et en socialisation suggèrent qu’une inclusion prudente des intérêts restreints dans la pratique scolaire est préférable à son exclusion. Travailler avec les intérêts restreints d’enfants autistes peut permettre d’accéder à l’épreuve du sentiment de soi incluant la conscience des intérêts particuliers, des motivations et des intentions. Les auteurs affirment, en une formule frappante, qu’amener les intérêts restreints de l’enfant dans la classe c’est amener l’enfant lui-même en celle-ci. Ils ajoutent qu’en l’absence d’engagement dans la sphère d’intérêt de l’enfant, les enseignants peuvent échouer à faire advenir la passion pour l’apprentissage qui motive un enfant autiste à engager de nouvelles expériences[53].
Il convient aujourd’hui de fortement souligner, avec Mottron, que « l’observation des intérêts particuliers autistiques montre que l’enfant autiste apprend, mais dans des domaines qui ne sont pas contrôlés par l’adulte, et qu’il n’apprend pas ou très mal dans des contextes d’interaction duelle ou interaction de tutelle ordinaire ». Les fréquentes capacités hyperlexiques permettant parfois d’étonnantes acquisitions solitaires de la lecture (Sellin, Suskind…) viennent l’attester. Dès lors l’approche neurocognitive de Mottron aboutit au même constat que celles dégagées par les méta-analyses précédentes. À partir d’un enseignement non intrusif et indirect, il s’agit d’abord de s’appuyer sur « les forces » des autistes, en encourageant leurs activités en solitaire. Il est d’observation courante que les progrès se font souvent sans le soutien des adultes et parfois même contre leurs volontés. Ainsi, affirme Mottron, il convient « de mettre à disposition du matériel que l’enfant est à même d’apprendre, dans l’ordre qu’il souhaite, et avec la possibilité qu’il en ignore une partie. Il faut, après tout, faire avec l’enfant autiste ce qu’on fait avec les jouets de l’enfant typique […] L’enfant autiste doit bénéficier de temps libre pour l’exploration de matériel non social, y compris par des comportements apparemment répétitifs. Le temps que l’enfant passe sans interaction doit lui permettre d’avoir accès à un matériel complexe, déterminé par l’inventaire de ses intérêts aussi bien que par celui des matériels auxquels les autistes, de manière générale, portent intérêt et utilisent de manière combinatoire et créative : les claviers, les écrans, les tableaux magnétiques, les livres »[54] . La manière propre aux autistes de réaliser une tâche doit être favorisée. Bref il s’agit de prendre appui sur la spécificité de leur fonctionnement. Il réside à la fois en une « autre intelligence », qui conduit à privilégier le visuel, mais participe aussi d’un autre fonctionnement subjectif, initialement réticent aux échanges[55], qui incite à favoriser des apprentissages indirects et non intrusifs.
Les deux méta-analyses précitées, celle de Dunst, et celle de Gunn, pâtissent certes des faiblesses méthodologiques habituellement rencontrées dans les recherches sur les prises en charge de l’autisme. Cependant viennent à leur appui de nombreuses relations détaillées d’Affinity Therapy spontanées relatées dans divers ouvrages rédigés par des autistes ou par leurs parents (Suskind, Barnett, Grandin, Tammet, Romp, Gardner, Ouellette, Dillon, etc.) Les résultats obtenus ne semblent pas être moins substantiels que ceux de l’ABA. Ils présentent de surcroît deux avantages majeurs. D’une part, celui d’éviter les affrontements parfois violents des premiers mois de l’ABA quand l’enfant autiste est confronté aux exigences d’apprentissages contraints qui heurtent son mode de fonctionnement et ses défenses contre l’angoisse. D’autre part, l’Affinity Therapy permet un accès à ce qui ne s’apprend pas, à savoir l’indépendance, la capacité à prendre soi-même des décisions. Ceux qui en ont fait l’épreuve relatent souvent l’advenue d’aptitudes à choisir leurs études, leurs professions ou leurs amours sans l’approbation de leurs parents. Cependant pour chiffrer l’indépendance, qui procède d’un acte subjectif, il faut accepter d’en passer par la parole de l’autiste, la grande absente des évaluations opérées par l’Evidence-Based-Medicine.
Il est remarquable que les approches neurocognitives et psychodynamiques, bien que reposant sur des conceptions très différentes de l’autisme, parviennent aujourd’hui à des convergences majeures sur la prise en charge, en mettant au premier plan « une intervention fondée sur les forces » de l’enfant, ou en prônant un développement structurant de ses affinités. Après tant d’errements niant la spécificité du fonctionnement de l’autiste, c’est sans doute un indice qu’il s’agit d’une base solide.