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De l’ABA à l’Affinity Therapy

Actualité de l’évaluation de la prise en charge des enfants autistes.

Par Jean-Claude Maleval et Michel Grollier.

Retrouvez l'article complet ici : https://cause-autisme.fr/2017/04/22/de-laba-a-laffinity-therapy/

Résumé : Comment expliquer le taux étonnamment faible d’inclusion scolaire constaté dans les 28 structures expérimentales françaises pratiquant la méthode ABA avec des enfants autistes ? Plusieurs facteurs semblent pouvoir être invoqués parmi lesquels il faut souligner : les caractéristiques de l’échantillon, l’indépendance des évaluateurs à l’égard des équipes, la privation du recours aux punitions, et la spécificité de l’indicateur.

Les études convergent pour considérer que l’efficience de l’ABA porte essentiellement sur la cognition, le langage et la diminution des comportements problèmes. Avec cependant une restriction majeure : ces résultats ne sont obtenus que sur 45 à 50% des enfants autistes. L’inclusion scolaire est un résultat plus difficile à produire : les enfants qui y parviennent ne constituent qu’une petite partie de ces derniers. Les plus récentes expertises de la méthode ABA établissent que son efficience est confirmée, mais que celle-ci reste modeste sur la cognition, et faible sur la sévérité de l’autisme. Elle reste recommandée par les autorités sanitaires faute de mieux : aucune autre méthode ne pouvant faire valoir de meilleurs résultats quand ceux-ci sont évalués par l’Evidence-Based-Medicine.

Cependant des témoignages spontanés d’Affinity Therapy se multiplient. Le concept est introduit en 2012 par Ron Suskind. L’audience médiatique de celui-ci rend aujourd’hui plus difficile de le méconnaître. Des études sur le bénéfice d’utiliser les intérêts restreints des autistes dans la pratique clinique commencent à paraître dans la littérature scientifique. Certaines établissent qu’une utilisation intrinsèque de celui-ci, c’est-à-dire comme source de la motivation aux apprentissages, comme s’emploie à le faire l’Affinity Therapy, est plus performante que l’utilisation extrinsèque de l’intérêt restreint, celle qui le limite à une récompense, pratique au cœur de la méthode ABA.

Jean-Claude Maleval est professeur émérite de psychologie clinique, psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause freudienne, EA 4050, Université Rennes 2, place du recteur Henri Le Moal. CS 24307. – 35043 Rennes Cedex. Michel Grollier est professeur de psychologie clinique, psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause freudienne. EA 4050. Université Rennes 2. Place du recteur Henri Le Moal. CS 24307. – 35043 Rennes Cedex.

Il semble légitime de supposer que le taux d’inclusion scolaire constitue un indicateur plus fiable que d’autres pour apprécier l’effet d’une intervention éducative ou thérapeutique sur l’enfant autiste, parce qu’il s’agit d’un comportement complexe, faisant appel à des compétences diverses. C’est l’indicateur retenu d’emblée par Lovaas pour établir la pertinence de la méthode ABA.[1]Sur un échantillon de 19 enfants autistes, après en moyenne 2,5 ans de traitement, 9 furent scolarisés en filière normale, soit 47%. Par ailleurs, des résultats assez divers faisant état de 23% à 100% de scolarisation sont rapportés par des études ultérieures citées par la HAS[2].

Dès lors, beaucoup d’espoirs étaient permis concernant une application intensive de la méthode ABA en France dans 28 structures expérimentales générées par une circulaire de la Direction générale de l’Action sociale promulguée en 2010. Ces institutions, bien dotées en personnel, disposant de moyens financiers généreux, animées par des équipes soudées, soutenues par les associations de parents d’autistes, furent placées dans d’excellentes conditions d’expérimentation de la méthode : le taux d’encadrement y était de 1,03 par enfant pour un accompagnement hebdomadaire moyen de 26 heures. 578 enfants autistes y ont été pris en charge. Or après cinq ans de fonctionnement de ces institutions expérimentales des observateurs indépendants constatent que le taux de scolarisation s’avère étonnamment faible. Seuls 19 enfants « sont sortis vers le milieu ordinaire », mais encore faut-il parmi eux retrancher ceux qui sont allés en CLIS et ceux qui ont continué à bénéficier d’une AVS – dont le nombre n’est pas précisé[3]. Sur un échantillon beaucoup plus représentatif que celui des études précédemment citées le taux de scolarisation en milieu ordinaire avoisine en France les 3% ! Rares sont les études qui dégagent un taux si bas. Il existe bien une recherche anglaise, publiée en 2002, portant sur la méthode ABA « gérée par les parents »[4], qui fait état, selon la lecture attentive de Shea,[5] d’un taux d’à peine 6%, soit 3 enfants sur 48. Notons que ces chiffres médiocres ne sont pas donnés spontanément : ils doivent être dégagés des données délivrées.

Que l’appréciation de l’efficacité de la méthode ABA, à partir d’un comportement aisément observable et quantifiable, tel que l’inclusion scolaire en milieu ordinaire, puisse passer de 3% à 100%, en incluant des résultats intermédiaires très diversifiés, laisse perplexe quant aux conclusions à tirer de ces recherches, et incite à supposer la présence de biais méthodologiques majeurs.

Comment expliquer une telle divergence entre la pauvreté du taux d’inclusion scolaire obtenu par les 28 structures expérimentales françaises et certaines études beaucoup plus optimistes publiées dans la littérature scientifique sachant en outre que ces dernières portent sur des durées d’expérimentation plus courtes[6] ?

Plusieurs facteurs semblent pouvoir être invoqués parmi lesquels il faut souligner : les caractéristiques de l’échantillon, l’indépendance des évaluateurs à l’égard des équipes, la privation du recours aux punitions, et l’inclusion scolaire comme indicateur.

 

La suppression des techniques aversives

Dans les débuts de l’exercice de la méthode ABA les punitions sont incluses dans les moyens de renforcement et ses mérites sont justifiés par les études. En 1991 des chercheurs behavioristes s’interrogent : « Est-ce que la punition nuit ? »[7] « Ils comparent, rapporte Dawson, l’impact des pratiques aversives sur le moral et la satisfaction professionnelle de plus d’une centaine d’intervenants divisés en deux groupes, ceux qui n’ont pu utiliser que des techniques aversives modérées, et ceux qui ont pu avoir recourt à des techniques aversives sévères à l’encontre d’autistes en leur dépendance. Parmi ces dernières (et nous supposons qu’il ne s’agit pas d’une liste limitative) : « claque, pincement, choc électrique, odeur nocive, liquide toxique, et cheveux tirés ». L’étude, commente Dawson, ne définissait aucune limite précise à ce que les personnes impliquées dans celle-ci pouvaient tenir comme « modéré » ou « sévère » concernant les techniques aversives. De toute évidence aucun autiste n’avait été consulté à ce sujet. En outre personne ne releva que des autistes avaient été blessés et tués en raison des conditions éprouvantes auxquelles ils avaient été soumis, de celles qui ne peuvent que conduire à plaider en faveur d’une classification de type « sévère ». Les auteurs concluent : « permettre aux membres du personnel l’usage d’une grande variété de types d’interventions y compris de techniques aversives prononcées peut diminuer leur stress professionnel et rehausser le sentiment qu’ils ont de leur efficacité »[8]. Les éducateurs consultés considèrent que des techniques aversives fortes appliquées aux autistes permettent d’obtenir les meilleurs résultats. C’est aussi l’opinion de Dawson qui fait valoir que l’intervention de tribunaux américains prononçant l’illégalité des techniques aversives constitue une des raisons majeures de la non-reproduction des 47% de résultats positifs de l’étude de Lovaas. Ils furent obtenus en recourant à des décharges électriques, des fessées, des vaporisations d’eau froide et des expositions à des odeurs désagréables. Dans une discussion avec Dawson, en 2003, Lovaas avait concédé qu’obtenir les mêmes résultats sans recours aux techniques aversives serait beaucoup plus difficile.

Les recommandations de la HAS sont sans ambiguïté : « les procédés physiques d’aversion ne doivent pas être utilisés »[9]. Il est légitime de supposer que les 28 structures expérimentales fondées à partir de ces recommandations s’efforcent de les appliquer. En revanche beaucoup d’études dont les résultats sont pris en compte par la HAS incluent encore le recours aux techniques aversives. Qui plus est, l’ABA contemporain, le plus souvent évalué, qui annonce maintenant se priver des punitions, suscite parfois sur ses marges un retour de celles-ci. Mme Vinca Rivière, fondatrice du Centre expérimental Camus, de Villeneuve-d’Ascq, qu’elle présente comme un lieu pilote de la méthode ABA, n’hésite pas à énoncer en 2012 ce que beaucoup de behavioristes persistent à penser. « En analyse du comportement, déclare-t-elle à une journaliste de Mediapart, il y a des procédures de punition par choc électrique. Tout le monde trouve ça scandaleux, mais c’est accepté par le gouvernement hollandais sous certaines procédures pour des troubles sévères et en dernier recours. Ce qu’on appelle « choc électrique », on le présente en formation en faisant sucer une pile de 9 volts : ça picote la langue. Mais ça suffit à changer un comportement, je l’ai vu en Hollande, et l’efficacité en est démontrée depuis les années 50. […]. Cette punition-là, elle est efficace si le comportement diminue rapidement, sinon, ce n’est pas une bonne punition. Donc si ça ne diminue pas, on arrête, on va pas mettre du 80 volts ! » [10]. Une plainte introduite par un parent d’enfant autiste traité au Centre Camus vient encore à l’appui de la persistance du recours à des techniques aversives en cette institution[11]. La justice l’a confirmé en rejetant le recours en diffamation de Mme Rivière.[12] Au reste Leaf, McEachin et Taubman dans « L’approche comportementale de l’autisme », publié en 2008, notent que l’abandon des méthodes punitives s’est produit sous l’influence de considérations éthiques portées par la pression sociale et non pour des raisons scientifiques. Les comportementalistes se sont rangés au « politiquement correct », mais il reste discernable un certain regret de leur part d’avoir dû se priver de méthodes si efficaces. Ils avancent cependant de pertinentes raisons pour le faire. La punition, affirment-ils, peut être une procédure hautement maltraitante et elle nécessite donc un contrôle soigneux[13]. « Nous avons été témoins, ajoutent-ils, de circonstances au cours desquelles des « professionnels » ont abusé de la punition jusqu’à un point que l’on considère être de la maltraitance »[14]. Qui plus est, ils notent que c’est une procédure trop facile à utiliser, à laquelle il est fait trop souvent recourt « de manière émotionnelle », de sorte que son « utilisation incorrecte » risque d’affecter négativement la réputation de l’ABA. La mention d’une « utilisation incorrecte » de la punition dans un travail qui explique les raisons de son arrêt est importante : elle révèle que persiste dans la logique de la méthode la notion d’une punition correcte. Il est d’ailleurs affirmé qu’elle fut utilisée d’une manière « correcte » en 1973 grâce à une bonne formation du personnel et avec la surveillance de plusieurs superviseurs – dont le Dr Lovaas. Bref le rejet des techniques aversives, au nom de considérations éthiques imposées, et non en référence à l’efficacité, n’est assumé par les comportementalistes qu’avec une certaine réticence. Ils concèdent eux-mêmes, sans l’approuver, qu’il existe encore en 2008 des professionnels qui utilisent des méthodes aversives. La HAS note que certains des résultats positifs qu’elle prend en compte concernant les traitements comportementaux sont obtenus en ne récusant pas le recours à des procédures de punition[15].

Que l’ABA contemporain soit une méthode qui doit se priver des pratiques aversives est cependant une notion qui tend à se répandre. De surcroît tout porte à croire que des structures expérimentales fondées par des associations ne cessant de se revendiquer de la scientificité des recommandations de la HAS ont induit dans les équipes un strict respect des recommandations éthiques de celle-ci. Une part de la pauvreté des résultats de l’expérimentation française trouve probablement son origine dans l’interdit du recours aux techniques aversives.

 

Les caractéristiques de l’échantillon et l’indépendance des évaluateurs

Il est un résultat constamment reproduit méta-analyse après méta-analyse : le fait qu’environ 50% des enfants autistes ne soient quasiment pas améliorés par la méthode ABA[16]. Pourtant il est des études qui font état d’un taux d’inclusion scolaire supérieur à ce pourcentage, allant parfois même jusqu’à 100%. Comment ne pas supposer que le choix et l’importance de l’échantillon interviennent de manière décisive dans les résultats obtenus ? La plupart des études publiées dans les revues scientifiques à comité de lecture sont effectuées par des chercheurs à la tâche de confirmer leurs hypothèses et leurs modèles théoriques. Si l’expérience les infirme, il est rare que l’article scientifique sorte du tiroir. Dès lors un échantillon approprié peut contribuer à atteindre les buts attendus. Cependant une sélection conforme aux attentes n’est plus guère réalisable quand l’échantillon comporte plusieurs centaines d’enfants autistes.

Il est un indice, noté par la HAS, du regard peu critique porté par les chercheurs qui expérimentent avec la méthode ABA : « Les études rapportées, écrivent les experts, étaient tenues de signaler les événements ou effets indésirables. Aucune des études n’en a rapporté. Néanmoins aucune intervention ne peut être à l’abri d’un événement indésirable »[17]. À notre connaissance, il n’existe pas de recherche sur les effets indésirables de la méthode ABA, bien que des parents et une enquête sanitaire en aient fait état[18]. « Dans le cas d’un médicament, rappelle Mottron, le recensement d’effets indésirables est une étape obligatoire. Dans le cas des interventions comportementales précoces, il ne paraît pas exister la moindre étude les suspectant, ni à court, ni à long terme. Il n’existe en particulier aucune étude sur l’effet à l’âge adulte d’avoir privé l’enfant des comportements et intérêts dits « répétitifs », ce qui représente un des objectifs de l’ABA. Dans aucun autre domaine que l’autisme, on n’accepterait d’imposer une intervention sur une large échelle si des effets négatifs possibles n’ont pas été recherchés »[19]. Il en est un pourtant assez discernable : combien d’autistes de haut niveau ont-ils fait état d’une sortie de la solitude autistique grâce à la méthode ABA ? L’absence de témoignage de cet ordre justifie que la plupart d’entre eux restent réservés sur cette dernière, voire très critiques[20].

La majorité des études examinées par les experts de la HAS portent sur des échantillons de quelques dizaines d’enfants suivis pendant des durées qui vont de quelques mois à deux ans. Il est tout à fait exceptionnel d’avoir la possibilité de se pencher sur le devenir de 578 enfants autistes traités en moyenne pendant deux ans et demi. Rappelons que l’étude la plus citée, celle de Lovaas, n’inclut que 19 enfants.

La sélection opérée par les structures expérimentales françaises n’était nullement orientée par la recherche de résultats statistiques. Elle s’est faite sur des critères d’un tout autre ordre. Le public accueilli, constate le rapport, « très restreint et sélectionné », et composé de « connaisseurs ». Entendons d’enfants dont les parents sont des « connaisseurs » en matière d’autisme. « En effet, est-il précisé, à l’ouverture des structures, le plus souvent, une bonne partie des places a été occupée, spontanément, par les enfants des membres de l’association fondatrice qui sont majoritairement encore présents dans les structures (très peu de sorties). Les places créées grâce à l’expérimentation ont ainsi été très rapidement occupées par des familles qui étaient déjà « expertes » de l’autisme et de l’ABA (membres d’associations, impliquées dans un accompagnement ABA de type libéral…) »[21]. L’échantillon comporte donc un biais plutôt favorable à l’ABA, l’attitude positive des parents à l’égard de cette méthode, mais il n’est pas sélectionné afin d’en établir la scientificité. Par son nombre et son recrutement il apparaît très représentatif des autistes dont les parents sont en attente d’une prise en charge institutionnelle de leur enfant. Nul doute qu’il ne penche du côté des formes les plus sévères du spectre autistique, ce qui peut rendre partiellement compte de la pauvreté des résultats ; cependant les enfants pris en charge en institution sont aussi ceux qui sont le plus exposés aux méthodes comportementales recommandées.

Les experts des cabinets Cékoïa conseil et Planète publique ne sont intervenus en rien dans le choix des enfants intégrés dans les structures expérimentales. L’échantillon qu’ils étudient n’avait pas été constitué par eux. Il n’en est pas toujours ainsi dans les recherches scientifiques prises en compte par la HAS. L’indépendance des évaluateurs de l’expérience française conforte la solidité du résultat obtenu.

 

L’inclusion scolaire comme indicateur

Il existe aujourd’hui un quasi-consensus dans la littérature scientifique internationale pour considérer qu’environ 50% des enfants traités par la méthode ABA obtiennent des résultats probants, cependant ceux-ci sont très éloignés du retour à un « développement normal » annoncé par Lovaas.

La démonstration de l’efficacité de la méthode ABA ne repose pas sur quelques rares études chiffrant l’inclusion scolaire, dont la robustesse méthodologique est souvent contestable, mais sur d’autres études, dont les résultats ont été maintes fois reproduits. Ils objectivent essentiellement des améliorations du QI, des compétences linguistiques, et des capacités d’adaptation, ainsi qu’une diminution des comportements problèmes. De nombreuses recherches concordantes ne permettent guère d’en douter.